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Rapport sur la conférence IRPA 2016 du délégué de l’ARRAD
Rapport du délégué de l’ARRAD à IRPA 2016
1. Généralités
Le 14ème congrès quadriennal de l’IRPA (International Radiation Protection Association),
la plus importante société de radioprotection (18'000 membres) a eu lieu du 9 au 13 mai à Cape Town, en Afrique du Sud, dans le gigantesque et moderne « International Congress Center ».
Placé sous le thème « practising radiation protection, sharing the experience, new challenges », il a réuni près de 900 participants, provenant de 72 pays et de 52 sociétés associées, sous le patronage du président du congrès, Thiagan Pather, et de la présidente de l’IRPA, Renate Czarwinski. Ce congrès, extrêmement bien organisé, s’articulait autour de 12 domaines (« area ») de radioprotection, allant des sciences fondamentales à la gestion des déchets, en passant par les radiations non ionisantes et les aspects médicaux. Chacun de ces champs faisait l’objet de sessions scientifiques, de « refresher courses », de posters etc…, clairement indiqués par des couleurs spécifiques dans le programme et les salles d’exposition, si bien que chaque professionnel pouvait rapidement se composer un programme personnalisé parmi les innombrables sujets proposés et plus de 500 posters exposés. Ce 14ème congrès de l’IRPA avait aussi une résonnance toute particulière puisque l’Association
célébrait ses 50 ans d’existence. Il serait impossible de tracer un fil conducteur de ce congrès, tant les sujets étaient nombreux et variés. Ce résumé ne peut donc refléter que ma propre perception de ce qui s’y est déroulé, notamment en assistant aux séances plénières. S’il fallait caractériser en 5 mots l’esprit de ce congrès je retiendrai personnellement :
1) inter-disciplinarité
2) communication
3) formation
4) éthique
5) responsabilisation (sur le terrain)
Sur le plan scientifique, la problématique des irradiations à faibles doses, chroniques ou fractionnées, occupait une place prépondérante. De façon surprenante, peu de sessions furent consacrées aux radiations non ionisantes, et je n’y ai vu aucun poster sur ce sujet ! Il faut dire que l’ICNIRP (International Commission of Non Ionizing Radiation Protection) tenait son 8ème workshop en parallèle au congrès de l’IRPA. Les représentants de l’ICNIRP ont néanmoins exprimés, à la fin du congrès, leur préoccupation concernant les moyens limités dont ils disposent par rapport à l’ampleur des développements liés aux technologies non irradiantes, en particulier les champs magnétiques puissants (IRM) et les radiofréquences, pour lesquelles les études actuelles suggèrent de possibles effets délétères sur la grossesse et les jeunes enfants. Ils ont aussi insisté sur la nécessité d’intensifier les interactions avec les autres sociétés de radioprotection.
2. Conférences plénières
Le 1er jour du congrès le lundi 9 mai, fut marqué par la traditionnelle « Sievert lecture », tenue par le lauréat de la prestigieuse distinction du «Rolf M. Sievert Award », qui fut attribuée cette année au Pr John D Boice (Université de Médecine Vanderbilt, Nashville, USA), président du NCRP (US National Council on Radiation Protection and Measurement). Sa présentation a porté sur le thème « comment protéger le public lorsqu’on ne connait pas le risque ». Pr Boice a notamment indiqué que l’épidémiologie des radiations évolue progressivement de l’analyse des effets génétiques (transmissible à la descendance) vers l’analyse des effets somatiques des individus exposés. En effet, des études menées sur des enfants qui ont survécu à un cancer, en Suède, n’ont pas révélées d’effets génétiques liés au traitement irradiant. Sur le plan somatique il semble que les divers tissus réagissent
différemment aux doses fractionnées et que l’âge lors de l’exposition joue un rôle. Ainsi, il n’y aurait à priori pas de risque associé à l’irradiation d’un cancer du sein après l’âge de 30 ans. De même, une étude de suivi de 30'000 femmes ayant subis une radiothérapie pour un cancer du col utérin, n’a pas révélé un excès de leucémie par rapport à un groupe témoin. La susceptibilité des individus aux faibles doses reste cependant un sujet mal connu. Un petit nombre d’individus, surtout des femmes, pourraient avoir une sensibilité élevée aux radiations. Les enfants de moins de 15 ans ont un risque augmenté de développer un cancer de la thyroïde, même à faible dose, alors que ce risque n’est pas démontré chez les individus plus âgés. Le Pr Boice a insisté sur le besoin d’intensifier les études pour mieux comprendre les risques réels liés aux radiations.
Le même jour, une deuxième session plénière a réuni 5 représentants de différentes organisations de radioprotection (UNSCEAR, ICRP, IAEA, ICNIRP et NIRS) sur le thème phare de ce 14ème congrès de l’IRPA : «Sharing Experience, New Challenges ». Le représentant de l’ICRP, le Canadien Chris Clement, a notamment insisté sur l’importance de la recherche scientifique dans le domaine des risques liés aux faibles doses et sur les valeurs éthiques. Il a rappelé que l’ICRP est une organisation indépendante, ce qui fait sa force. Il a aussi annoncé que l’ensemble des publications de l’ICRP peuvent désormais être téléchargées gratuitement sur le site internet de l’association (www.ICRP.org). Le représentant de l’ICNIRP, Eric van Rongen (Allemagne), a rappelé que le concept de dose (niveau d’exposition X durée) n’est pas applicable à tous les types de rayons non ionizants (RNI). Par contre, les effets stochastiques s’appliquent également à certains RNI, comme les UV.
Monsieur Makoto Akashi (NIRS, Japon) a quant à lui parlé de l’accident de Fukushima, en relevant notamment le manque de connaissances et de formation de la population, des professionnels de la santé et des secours en matière de radioprotection. Il a mentionné des hôpitaux qui refusaient d’admettre des patients irradiés et relaté des conditions d’évacuation catastrophiques. Le représentant de l’IAEA (International Atomic Energy Agency), Tony Colgan (Autriche) a rappelé que son association établit des standards de référence en collaboration avec les Nations Unies dans le domaine de l’application pratique de l’énergie atomique. Les publications de l’IAEA (129 documents) servent de références mondiales.
Le 2ème jour du congrès, mardi 10 mai, la session plénière fut consacrée à l’état de l’art dans les sciences fondamentales. Les deux premiers orateurs (Richard Wakeford, Univ. Manchester et Michel Rolf, Univ. Hanovre) ont tiré un bilan des effets de l’accident de Chernobyl sur la santé des populations exposées. Si une augmentation du cancer de la thyroïde a été objectivée chez les enfants, il y a peu d’évidence pour affirmer que d’autres cancers soient attribuables à cet accident. Même si les premières études effectuées suggèrent une augmentation des leucémies, leur méthodologie est douteuse et ne permet pas de tirer des conclusions sérieuses. Cette situation était notamment liée aux problèmes de communication, d’organisation et de transmission des données par une URSS en proie à de gros problèmes internes et en cours de dislocation. Des mesures des concentrations de I129ont été effectuées à distance de l’accident, mais n’ont pas permis d’atteindre la précision de mesures immédiates. Ainsi, la question de la dose minimale associée un excès de risque du cancer de la thyroïde chez l’enfant reste ouverte. Les populations exposées étaient mal informées des risques et des moyens de prévention et ont eu des comportements à risque pendant des années (consommation de lait de vache contaminé etc..). Ceci montre l’importance de la formation, ainsi que du transfert des connaissances et des compétences sur place. La représentante de l’IARC (International Agency for research on cancer), Isabelle Thierry-Chef (Lyon) a présenté une étude Internationale Européenne actuellement en cours (EPI-CT study) qui veut évaluer rétrospectivement les doses délivrées par le scanner aux enfants, entre 2011 et 2017, et à suivre la cohorte pour démontrer d’éventuels risques carcinologiques. Bien que les précédente études (comme celle de Pierce et al, Lancet 2012) suggèrent une faible augmentation du risque de cancer chez les enfants exposés (env. 1/10’000), il est nécessaire de poursuivre la recherche dans ce domaine pour renforcer nos connaissance sur le sujet, vu les importantes limitations méthodologiques liées à de telles études.
La dernière oratrice, Birajlaxmi Das (Bhabha Atomic Center, Inde) a présenté les résultats d’une étude épidémiologique et biologique, avec analyses chromosomiques, d’une population chroniquement exposée à de faibles doses de radiations (< 35 mGy/an) dans la région du Kerala, en Inde. Les paramètres analysés n’ont pas révélé d’augmentation de cancer, de malformations ou autres anomalies dans cette population par rapport à une population comparable non exposée.
Le 3ème jour du congrès, mercredi 11 mai, la matinée fut consacrée à la célébration du 50 ème anniversaire de l’IRPA. A cette occasion, l’un des membres fondateurs, l’Allemand Rupprecht Maushart, nous a rappelé comment l’IRPA fut créée par la fusion en 1965, à Los Angeles, de l’European Radioprotection Society, elle-même fondée en 1963, avec diverses autres sociétés nationales. Le premier congrès de l’IRPA eut lieu à Rome, en 1966. Ce fut l’occasion de parler des accomplissements scientifiques en matière de radioprotection en faisant une revue des présentations des 12 lauréats du « Sievert award » au fil des 14 congrès de l’IRPA. Si la connaissance des prédispositions génétiques à l’hypersensibilité aux rayonnements (comme l’ataxia telangectasia) a progressé, il reste encore beaucoup à découvrir sur les mécanismes de la carcinogénèse liés aux rayonnements (dommages sur l’ADN, expression génomique, régulation moléculaire du cycle cellulaire, etc…). Biologie et épidémiologie doivent avancer la main dans la main. Le Dr Michiaki Kai, président de la Japan Health Physics society, a mentionné que jusqu’à présent il n’a pas été possible de mettre en évidence d’effets génétiques transmissible en relation avec les accidents nucléaires ou les bombes atomiques.
Le Dr Abel Gonzalez, lauréat argentin 2004 du « Sievert aware » a insisté sur la nécessité d’établir des guidelines communs pour le transport des substances radioactives. Il a rappelé aussi que les risques des faibles doses de radiations sont encore méconnus et doivent faire l’objet d’une intense recherche. Le Pr John Boice a présenté les enjeux futurs de la radioprotection qui sont à peu près les mêmes que ceux du passé : identifier les risques et comprendre leur signification. La radioprotection n’est pas seulement de la science, mais aussi de l’éthique. Il a déploré la diminution du nombre de professionnels impliqués en radioprotection aux USA, ainsi que le déclin dans la communication dans ce domaine. Ceci constituerait un gros problème en cas d’attaque terroriste. Il est nécessaire de motiver les jeunes professionnels et de soutenir leur recherche. Le Pr Christian Streffer a signalé que ce problème du désintérêt pour la radioprotection ne concernait pas l’Allemagne grâce à un programme enthousiasmant du gouvernement pour les jeunes professionnels. L’Anglais Richard Toohey a appelé à changer le mode de communication et apprendre à écouter pour devenir empathique. Il est important de ne plus laisser les gens dépendants de quelques experts scientifiques, mais au contraire il faut les responsabiliser sur le terrain, afin qu’ils soient capable de réagir adéquatement en matière de radioprotection, de faire leur propre dosimétrie etc…
Le 4ème jour, jeudi 12 mai, une session plénière fut consacrée aux challenges de la recherche sur les faibles doses. Séance assez technique où fut notamment abordée la question des biomarqueurs (comme les protéines mitochondriales, les télomères courts, etc..) et leur signification biologique ou pronostique, ainsi que la réponse non-linéaire de certaines cellules (cristallin) aux faibles doses. Une autre session a porté sur l’éthique et les standards internationaux ; je n’y ai pas participé, car elle coïncidait avec l’apéritif des délégués du FS et de l’ARRAD, qui célébraient aussi l’élection du Dr Klaus Henrichs au conseil exécutif de l’ARRAD (voir ci-dessous).
Le 5ème et dernier jour, vendredi 13 mai, une session plénière, avec table ronde, fut consacrée à Fukushima et à une analyses des accidents nucléaires majeurs. L’occasion de nuancer quelque peu la vision très négative sur l’organisation des secours à Fukushima émises le premier jour par M Makoto Akashi (NIRS, Japon). Après un résumé des 12 thèmes présentés à l’IRPA, et les remerciements de circonstances, le congrès s’est conclu par la désignation des lauréats du « young scientists and professional awards ». Le premier prix est revenu à l’Anglais Adam John, pour son travail « optimization of image quality and patient dose in radiographs of paediatric extermities, using direct digital radiography ».
3. Assemblée générale
L’après-midi du 11 mai fut exclusivement dédié à l’assemblée générale de l’IRPA, en présence de 179 délégués des 52 sociétés associées. La Société commune Germano-Suisse FS (Fachverband fur Strahlenschutz) comptait 10 délégués dont deux Suisses, Christophe Murith (actuel président du FS) et moi-même comme représentant de l’ARRAD. La présidente de l’IRPA, Renate Czarwinski, a présenté son rapport d’activité ainsi que celui des « task groups ». Il fut aussi mentionné que les sociétés associées organisaient en moyenne 7 meetings par année, comprenant en moyenne 150 participants. C’est la Société commune Germano-Suisse (FS) qui a organisé le plus grand nombre de meetings (70 meetings entre 2003 et 2004). Le résultat d’un sondage a révélé qu’une grande majorité des sociétés associées de l’IRPA sont satisfaites des activités organisées par cette dernière, et tout particulièrement du congrès international quadriennal (67 % de très satisfaits, 38% de satisfaits, aucun insatisfait).
L’AG a ensuite élu le nouveau président de l’IRPA 2016-2020, Roger Coates, et le nouveau vice-président, Eduardo Gallego. Il fallait ensuite procéder à l’élection de 3 nouveaux membres du conseil exécutif, qui en compte 12 au total, élus pour une période de 8 ans. 8 candidats étaient en lice pour ces 3 postes, dont le Dr Klaus Henrichs, qui fut élu avec 50.8% des voix, au côté de Marie Claire Cantone (Italie) et de Hiroko Yoshida (Japon).
Les prochains congrès de l’IRPA auront lieu en 2020 à Séoul (Corée) et à Orlando (USA) en 2024.
4. Document utile
Une publication toute récente (2016), présentée dans un workshop sur la communication, a attiré mon attention. Ce document, intitulé « communicating radiation risks in paediatric imaging» est édité par l’OMS. Il présente de façon simple et précise, les risques associés à l’irradiation en imagerie pédiatrique. En outre, il contient des liens vers d’autres publications intéressantes dans le domaine. Ce document est téléchargeable gratuitement (il suffit de taper le titre dans un moteur de recherche) et est également disponible en français.
Lien vers le document cliquer ici.
5. Conclusion
Je terminerai en mentionnant une réflexion tirée d’une des présentations de synthèse de ce 14ème congrès de l’IRPA, de Claire-Louis Chapple, qui en résume assez bien l’esprit, à savoir la volonté de standardiser les normes internationales et de transférer les compétences sur le terrain :
« pour le moment on pense localement et on travaille internationalement ; nous avons
désormais besoin de penser internationalement et de travailler localement ».
Pierre-Alexandre Poletti, le 14 mai 2016
Posté le 25.07.2016
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